Réforme
N°2923 (20/04/2001)
Un enfant à tout
prix ?
Par Claudine CASTELNAU
Qu’est-ce qu’un père ? Qu’est-ce qu’une mère ? Les nouvelles techniques de procréation médicalement assistée avec donneur rendent possibles de nouveaux types de parentalité. Elles nous éloignent encore plus du modèle traditionnel reconnu dans notre culture. |
Source : http://www.reforme.net
Qu’est-ce
qu’un parent ? A cette question, la psychanalyste Geneviève Delaisi
de Parseval, depuis vingt ans immergée dans les questions de «
parentalité assistée » (elle suit des couples en demande
de procréation assistée), rétorque que « si la réponse
a semblé longtemps simple – les parents étaient évidemment
les parents biologiques, génétiques en même temps que sociaux
–, cette parentalité vole en éclats depuis quelques années.
On ne connaissait la pluriparentalité que sous la forme de l’adoption
– les parents de naissance et les parents sociaux, les seuls “vrais”
socialement –, ou des divorces et recompositions familiales. Les procréations
médicalement assistées avec donneur ont induit des changements
considérables à la fin du XXe siècle, à la fois
dans “l’art de fabriquer des bébés” et dans
la parentalité ».
Et d’expliquer que les avancées techniques permettent aujourd’hui
d’isoler les « produits du corps » nécessaires à
la procréation et de les faire circuler entre donneurs et receveurs.
Si les lois bioéthiques, qui vont être révisées cette
année, donnent un corpus à cet éclatement de la parentalité,
il n’est plus du tout aussi simple de répondre à la question
: qu’est-ce qu’un père ? qu’est-ce qu’une mère
? devant les dissociations de parentalité que la circulation des substances
(gamètes, ovocytes, embryons) génère : mère génétique
et mère utérine, père génétique et père
social… « Il peut y avoir quatre parents – deux légaux
puisque le droit français ne reconnaît qu’une filiation –
et deux autres en position de parents, même s’ils ne sont pas reconnus
par la loi ! Ce qui pose une vraie question : donner naissance à un enfant
ce n’est pas rien. Or, avec les avancées de la médecine,
du droit et de la société, on fragmente la parentalité,
on la manipule comme un puzzle que l’on peut assembler selon son désir.
Cela vaut la peine de réfléchir à la manière de
l’assembler… »
Par exemple, ces secrets sur la filiation qui se sont potentiellement multipliés.
« Les “squelettes dans les placards” des familles sont vieux
comme le monde. C’était des squelettes classiques, comme l’adultère
de la grand-mère qui faisait que le grand-père social n’était
pas le “vrai” ou l’enfant adopté à qui l’on
cachait soigneusement son origine. Ces secrets, qui peuvent se révéler
de véritables petites bombes à retardement à la génération
suivante, sont plus nombreux qu’autrefois avec les manipulations accompagnant
la procréation. » Un exemple : la loi bioéthique de 1994
permet, lorsqu’il y a une insémination artificielle par donneur,
de faire disparaître la participation du donneur de gamètes. L’enfant
naît de ses parents. Ils peuvent lui en parler, mais tout leur permet
de le lui cacher. « On sait qu’un secret d’une pareille importance
est trop lourd à porter, que les enfants ont des antennes pour repérer
les non-dits, que ce secret, presque toujours partagé par un proche,
ne le sera plus dans dix ou vingt ans. Jadis, en France, comme aujourd’hui
encore dans certaines civilisations traditionnelles, les enfants circulaient.
Don d’enfants à ceux qui en avaient besoin, des couples stériles…
Cette circulation des enfants était socialement régulée,
elle se faisait avec de l’échange, de la parole. Les gamètes
circulent dans le silence, par le canal médical aseptisé des donneurs
anonymisés, des appariements sophistiqués entre donneurs et receveurs
mieux que dans la nature ! Les secrets de filiation, d’où je viens
?, c’est la question des origines posée et du droit de l’enfant
à son histoire de sujet – il est insupportable que quelqu’un
en sache plus sur lui-même que lui ! »
S’inscrire dans une généalogie.
Que ce soit dans le cas de figure de l’adoption, de l’accouchement
sous X, de la procréation médicalement assistée, l’enfant
a besoin de s’inscrire dans une généalogie, affirme fortement
Geneviève Delaisi de Parseval : « Les enfants par PMA ont le droit
de connaître l’homme généreux qui a donné ses
gamètes pour qu’ils naissent – en France, aucun lien de filiation
ne peut être juridiquement établi entre eux. Plus encore, ces enfants
doivent savoir que leur parent – père ou mère – a
dû vivre l’expérience douloureuse de la stérilité,
qu’il l’a sublimée et qu’il a eu la générosité
d’accepter qu’on y pallie. Encore faut-il pouvoir le lui dire. Car
passer par l’épreuve de l’infertilité est un véritable
deuil. Le deuil de sa fertilité à soi, c’est-à-dire
à la fois la souffrance de ne pas pouvoir s’acquitter d’une
“dette” par rapport à sa lignée et l’acceptation
de ne pas transmettre tout ce qu’on croit transmettre par la génétique.
Les liens du sang… une notion qui, si elle n’est pas scientifique,
est encore extrêmement pertinente sur le plan anthropologique, alors que
la culture familiale est bien plus importante dans la transmission ! »
Il faudrait enfin parler du « désir d’enfant », ce
« mot-valise », dit notre interlocutrice, qui recouvre un fantasme
de toute-puissance, né avec la contraception chimique, l’enfant
désiré. « Les procréations assistées ont amplifié
en quelque sorte et renouvelé ces expressions du désir d’enfant
en fournissant à ce désir un appui médical et thérapeutique.
En fait, il ne s’agit plus tant de désir que de jeu avec le désir,
un désir institutionnalisé en “projet parental”, un
désir exacerbé “d’enfant à tout prix”.
Le droit à l’enfant. » D’où cette inflation
actuelle du biologique que Geneviève Delaisi de Parseval n’hésite
pas à qualifier de « fétichisation du biologique. Et quand
on a tout misé sur le désir, il risque de vous revenir en pleine
figure : l’enfant a intérêt à bien répondre
à ce projet parental, et à être aussi parfait que ses parents
qui ont réussi à avoir l’enfant qu’ils ont voulu !
De même, lorsque l’enfant ne vient pas, la souffrance est terrible.
Non seulement celle de ne pas avoir l’enfant désiré, mais
celle de ne pas avoir été à la hauteur. »