Procréation assistée, famille recomposée... l'univers de l'enfant est en mutation. Et l'homoparentalité n'est qu'une composante de plus.

La refondation parentale

Par GENEVIÈVE DELAISI DE PARSEVAL ET SYLVIE FAURE-PRAGIER
Geneviève Delaisi de Parseval
et Sylvie Faure-Pragier sont psychanalystes.

Libération, le mardi 26 juin 2001

Source : site du journal Libération http://www.liberation.com


En termes
de «bonnes pratiques»,
il nous semble
qu'il vaut mieux deux parents, fussent-ils de même sexe, qu'un seul parent.
L''accès à la parentalité pour les homosexuels a donné lieu à des débats récents: après les pétitions et contre-pétitions à propos du refus d'agrément à l'adoption opposé à une femme vivant en couple homosexuel, le thème de l'homoparentalité a été, pour la première fois, mis en avant, samedi, par la Gay Pride. Mais il n'est pas sûr que nos concitoyens comprennent clairement les véritables enjeux de ce qui se décline actuellement dans la société française dans ce domaine. Tout se passe, dans la lecture que nous faisons de ce phénomène en tout cas, comme si l'on assistait désormais à un nouvel exercice de la parenté au sein de configurations familiales originales, regroupées pour l'instant sous la «bannière» de la pluriparentalité. Ces nouvelles situations correspondent à la fois aux familles recomposées après divorce (avec des beaux-parents) et aux familles adoptives; mais aussi aux familles composées après procréations médicalement assistées avec dons de gamètes; et enfin, de manière plus récente, aux familles homoparentales (que celles-ci soient composées directement par adoption ou par insémination artificielle avec donneur - anonyme ou non -, ou encore qu'elles soient recomposées, comme dans le cas, devenu classique, d'une femme divorcée qui élève les enfants qu'elle a eus de son précédent couple avec une compagne homosexuelle). L'homoparentalité n'est ainsi, on le voit, qu'une figure de plus de ces «montages familiaux» contemporains dans lesquels les parents de l'enfant ne sont plus nécessairement les géniteurs.

Menant depuis près de trois décennies une réflexion sur l'articulation des champs parentalité-fertilité-sexualité-filiation, nous avons assisté en direct, et en psychanalystes, à la rupture des liens qui unissaient sexualité et procréation tout d'abord (par la contraception); puis à la rupture de ceux qui unissaient procréation et filiation (marquée, elle, par le phénomène des AMP (1) avec donneurs de gamètes et d'embryons). Le tout ayant connu un point d'orgue, au plan législatif, avec le vote en juillet 1994 des lois bioéthiques. Et dont le fer de lance, choix épistémologique essentiel à comprendre, a consisté à rattacher la filiation artificielle (avec donneurs de gamètes ou d'embryons) à la filiation charnelle (légitime ou naturelle), se conformant en cela au modèle légal français de la filiation qui est celui de la filiation substitutive.

On s'aperçoit ainsi que, bien en amont des questions posées par l'homoparentalité, ce sont les différentes techniques d'assistance médicale à la procréation, qui, en créant un morcellement de l'expérience procréatrice et en multipliant les cogéniteurs, ont créé des situations inédites. Ces techniques ainsi que leur légitimation par la loi ont en effet induit, «permis», la prise en compte de demandes atypiques qui contournent la sexualité. Telle celle, emblématique et particulièrement paradoxale, qu'on peut formuler de la manière suivante: «Comment avoir des enfants quand on est stérile?» Ne nous étonnons pas alors que soient apparues tout naturellement des demandes d'individus qui revendiquent, pour eux et pour leurs enfants nés dans un contexte homosexuel, que la société reconnaisse un rôle parental à tous ces coparents (compagnons des parents légaux) qui n'ont ni reconnaissance sociale ni statut juridique.

En termes de «bonnes pratiques», il nous semble:

1) Qu'il vaut mieux deux parents, fussent-ils de même sexe, qu'un seul parent. Nous nous sentons peu en accord sur ce point avec la loi française qui établit une filiation plénière entre un parent célibataire et un enfant; le fait que ce parent soit hétérosexuel ne change rien à cette réserve et ne constitue pas à nos yeux une quelconque garantie pour le bien-être du futur enfant. Nous sommes, en revanche, favorables à la possibilité légale d'adoption pour des couples concubins qu'ils soient hétérosexuels ou homosexuels(la société gardant évidemment un droit de regard en donnant ou en refusant l'agrément).

2) Qu'il convient de réfléchir de façon fine et non didactique à la question de la coparentalité (conjugaison du projet parental de deux couples, hétérosexuels et/ou homosexuels), ainsi qu'au statut du compagnon ou de la compagne du parent légal (le beau-parent) qui contribue à l'éducation de l'enfant.

Il n'existe pas de définition du «bon parent», de «tampon» pour une parentalité acceptable. Mais ce que peut faire une société, c'est de se placer, avec sa palette de spécialistes, du côté de l'enfant (il y a là un principe éthique fondamental qui consiste à se soucier du bien-être des générations suivantes) et de se demander, pour peu qu'elle ait à donner un aval à un moment quelconque de la venue au monde de l'enfant, quels sont les besoins fondamentaux pour que ce dernier ne devienne pas «à risques».

Que dit la psychanalyse? Pour fabriquer un être humain, la rencontre de deux gamètes ne suffit pas (ce n'est même plus, à l'heure de l'AMP, une condition nécessaire). L'enfant a besoin, à notre sens, pour se développer harmonieusement de deux adultes (au moins) qui ont pu se constituer en parents (c'est-à-dire accomplir le travail psychique de la parentalité). L'identité, le moi de l'enfant se forment dans le creuset de la vie psychique, relationnelle et sexuelle des adultes qui sont responsables de lui et l'élèvent. L'enfant se nourrit aussi de la qualité et de la richesse des échanges entre les parents: si par exemple ceux-ci n'ont pas (ou peu) de vie sexuelle - ce qui est le cas de certains couples hétérosexuels qui adoptent ou recourent à l'AMP -, l'enfant aura du mal à construire son identité sexuelle. L'enfant a aussi besoin de transparence et de vérité sur son histoire; ainsi que de stabilité et de cohérence. Un enfant a besoin, ce n'est que trop évident pour un psychanalyste, de savoir de manière claire qui est son père, qui est sa mère; et/ou qui sont, si tel est le cas, les personnes qui ont participé au processus de à sa «mise au monde». Un enfant a enfin besoin d'être désiré un peu pour lui, et pas seulement pour colmater les blessures, les frustrations ou les deuils non faits de ses parents. Le législateur ne devrait pas devenir un fournisseur d'«enfants-prothèses» au narcissisme blessé de parents potentiels.

On pose enfin souvent au psychanalyste la question du devenir du complexe d'Œdipe dans ces situations nouvelles. Il convient ici de distinguer schématiquement deux visions complexes d'Œdipe: l'Œdipe de l'époque de Freud, du temps de la famille nucléaire; différente de sa déclinaison actuelle, davantage centrée sur la place du tiers qu'occupait, autrefois, le seul père entre la mère et son enfant. On remarque que ce tiers peut désormais être un autre parent que le parent géniteur et légal, un autre parent du même sexe; mais il peut aussi être incarné par la loi (le juge) ou encore par un référent social. L'essentiel étant la triangulation, dynamique structurante, fondamentale pour la maturation psychologique du futur adulte.

Seule la reconnaissance psychologique, éthique, et possiblement juridique dans certains cas, d'une filiation additive et non substitutive nous paraît être un exercice bien tempéré de la parenté. Respecter les intérêts et la dignité de tous les protagonistes de ces histoires, c'est essayer de traduire, de réinterpréter dans nos propres termes culturels les notions de multiparentalité et de pluriparentalité, dont le fonctionnement a été depuis longtemps analysé dans d'autres sociétés. Il s'agit enfin, de manière modeste, de dédramatiser et de relativiser le phénomène des dissociations et des successions temporelles dans le devenir parent, dissociations devenues si habituelles de nos jours.

 

(1) Assistance médicale à la procréation.