A la suite de la décision de prolonger le congé de paternité
de trois à quinze jours, Ségolène Royal a annoncé
la création d'un livret de paternité. Il existe un livret
de maternité et il n'existait pas de livret de paternité,
comme si la naissance, la petite enfance ne concernaient toujours pas
l'homme, alors que désormais elle fait partie de la culture de
la paternité. Il s'agit de rappeler les responsabilités,
les droits, les devoirs des pères dans un contexte en changement.
On ne saurait ignorer en effet que des transformations importantes sont
intervenues, à l'échelle de la société, des
mentalités et des moeurs. Elles se sont traduites par la référence
à l'égalité des droits civiques et sociaux entre
les hommes et les femmes, le travail salarié des femmes. On a assisté
d'autre part à de nouvelles donnes: la preuve par l'ADN de la paternité,
l'augmentation des naissances hors mariage et la nécessité
d'entreprendre des démarches pour obtenir l'exercice de l'autorité
parentale. Mais existent aussi l'inscription possible dans la filiation
par le nom du père et de la mère, la transformation de la
puissance paternelle en autorité parentale et en coparentalité
et l'égalité des droits entre enfants légaux et adultérins.
Enfin, l'attribution majoritaire de la garde de l'enfant à la mère
en cas de séparation conjugale va être rénovée
avec la mise au point de la garde alternée. Sans oublier le contexte
mouvant dans le domaine des procréations médicalement assistées.
Pourtant la paternité n'est toujours pas suffisamment sollicitée
par la société civile, comparée à la surresponsabilisation
des mères.
Ce livret de paternité vient ainsi avec force soutenir la part
du père dans la maternité et signifier solennellement que
la parentalité n'est pas seulement affaire de femmes. Plus clairement
que par le passé, il indique que la fonction paternelle doit s'inscrire
dans le cadre de la citoyenneté. Jusqu'à une époque
récente en effet, la paternité d'un homme se définissait
essentiellement par un lien symbolique, un peu abstrait, très peu
charnel, ancré ou sur le mariage (le pater is est du droit romain)
ou sur la reconnaissance de l'enfant par le père non marié,
ainsi que sur la transmission par l'homme du nom de son propre père.
Ensuite, pendant la grossesse et les premiers mois de la vie du bébé,
on pensait depuis toujours que le rôle du père était
de s'occuper de sa compagne enceinte et de préparer le «nid
familial». Ensuite sa fonction consistait à réinstaller
la mère et le bébé à la maison et à
reprendre son travail après les «trois petits jours»
de congé de paternité. Plus tard, le rôle prescrit
consistait à donner quelques biberons et à garder parfois
le bébé pendant que sa compagne s'occupait des tâches
domestiques. Ce n'est pas le père qui conduisait l'enfant aux consultations
médicales, on ne le voyait guère au square ou à la
sortie de l'école. Les livres de puéri culture parlaient
peu de lui, sauf dans un coin de chapitre. En bref, un père ne
pouvait la plupart du temps vivre véritablement sa paternité,
dans le sens d'un lien quotidien fort avec son enfant, que lorsque son
fils ou sa fille étaient plus grands. Mais parfois, on le sait,
l'occasion de la rencontre avait été manquée et la
connaissance mutuelle entre le père et l'enfant n'avait pu véritablement
se construire. Son rôle dans la famille avait consisté à
être «monsieur Gagne-Pain».
Pour les hommes actuels, l'histoire de leur père est souvent en
décalage avec la paternité contemporaine qui valorise la
présence, l'implication au quotidien et le partage avec une femme
qui s'affirme socialement et a des droits civiques et sociaux. La paternité
qui se dégage de nos jours, relationnelle, innove par rapport au
passé et aux valeurs des générations précédentes.
Elle implique en ce sens des initiatives, du recul par rapport à
soi; elle favorise, par exemple, le développement de nouveaux réseaux
de solidarité entre hommes, d'où les échanges entre
pères qui commencent à se développer sur l'Internet.
En effet, un grand nombre de situations sont nouvelles, dont les diverses
figures connues de recompositions familiales, sans oublier celles de l'homoparentalité...
Il se trouve que, depuis une vingtaine d'années, sociologues, psychanalystes
et pédiatres se sont mis à écouter les pères
parler de leur ressenti de la paternité. On s'est notamment aperçu
que les hommes vivaient, au même titre que les femmes, des émotions,
des angoisses, et même des manifestations physiques dans leur corps
quand ils attendaient et avaient des enfants (symptômes dits de
couvade). La sagesse populaire en avait conscience, mais ces manifestations
étaient le plus souvent sujet de plaisanterie. Ce dont on ne parlait
pas du tout en revanche ? sans doute parce que touchant à l'image
de la virilité ?, c'est que nombre de pères «enceints»
avaient des difficultés sexuelles pendant la grossesse, peut-être
parce qu'ils avaient peur de faire mal au bébé (ou à
la mère) ou pour d'autres raisons plus complexes. On s'est également
rendu compte que les différences physiologiques entre les femmes
et les hommes n'entraînaient pas, de façon aussi systématique
qu'on avait pu le croire, un vécu psychologique radicalement différent
face à l'arrivée d'un enfant. La psychanalyse nous apprend
que le désir d'enfant prend sa source, chez les mammifères
humains, dans les éléments prégénitaux. Pour
l'homme comme pour la femme, devenir parent c'est d'abord ? même
si ce n'est pas une motivation consciente ? rendre grands-parents ses
propres parents; mais c'est aussi commencer à entrer dans l'âge
adulte et régler une partie des conflits que l'on a avec soi-même.
Par ailleurs, les travaux de nombreux chercheurs ont montré que
le rôle du père était direct vis-à-vis de son
enfant ? même s'il s'agissait d'un nourrisson ? et qu'il n'y avait
plus lieu de le concevoir comme seulement médiatisé par
la parole de la mère.
Tout ceci montre qu'«entrer en paternité» peut être
un moment complexe, surtout si l'on n'est pas accompagné sur ce
chemin. La création d'un livret de paternité consacre ainsi
un véritable tournant dans la manière de penser la parentalité.
Les mères elles-mêmes auront beaucoup à gagner à
ce rééquilibrage. Il est grand temps que les rôles
parentaux se détachent d'assignations sexuelles archaïques.
Christine Castelain-Meunier est sociologue;Geneviève Delaisi de
Parseval est psychanalyste.
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