Le
Figaro (19/07/2005)
Variations
sur la maternité de
substitution
La gestation pour autrui,
loin d'être une invention purement rhétorique comme d'aucuns
le soutiennent s'avère, dans sa version moderne, un palliatif révolutionnaire à une
forme irréversible de stérilité féminine.
La maternité pour autrui remonte aux origines de notre civilisation
mais, depuis l'apparition des techniques de procréation assistée,
c'est évidemment d'une toute autre histoire qu'il s'agit. Pratiquée
la plupart du temps avec les gamètes des futurs parents, la gestation
pour autrui permet le maintien du lien biologique entre un enfant et ses parents,
la gestatrice n'intervenant que pendant le temps de la grossesse et de l'accouchement.L'histoire,
emblématique, d'une jeune patiente qui à la suite d'un accouchement
dramatique a dû subir une hystérectomie illustre une des nouvelles
indications contemporaines de la gestation pour autrui. Cette jeune femme et
son mari, parents d'une petite fille heureusement rescapée, ont souhaité lui
donner un frère ou une soeur et, confrontés à l'interdit
français, se sont décidés à avoir recours à une
gestation pour autrui aux Etats-Unis où ils ont pu avoir un petit garçon.
Bien que l'acte de naissance américain de l'enfant le désigne
comme leur fils, il leur est cependant impossible d'en obtenir la transcription
en France, alors que cet acte a été établi de manière
parfaitement licite. Privé d'état civil sur le territoire français,
l'enfant ne peut donc figurer sur le livret de famille de ses parents, pas
plus qu'il ne peut lui être délivré de carte d'identité ;
même pas reconnu comme frère de sa soeur il est, en outre, privé de
toute filiation maternelle ! Cette histoire est au demeurant représentative
de celle de plusieurs familles françaises, certaines ayant vécu
le traumatisme supplémentaire de la perte du bébé au cours
de l'accouchement.La loi française interdit la maternité de substitution.
Cependant il faut comprendre que cette interdiction trouve sa source dans les
motifs donnés par la Cour de cassation lorsqu'elle a condamné l'activité de
l'association «Alma mater» en 1991. Il s'agissait alors de mettre
fin à une pratique qui consistait à faire adopter par l'épouse
du père un enfant qui était né à la suite d'une
insémination de la mère porteuse par le père commanditaire
; c'était en réalité une fraude à l'adoption.Mais
il faut ici rappeler que le principe d'indisponibilité du corps humain,
s'il interdit de faire commerce de ses organes ou des produits de son corps,
n'empêche nullement d'en faire don dans les limites définies par
la loi. S'il en était autrement, ce principe serait un obstacle à toute
atteinte qu'une personne est en droit de consentir sur son propre corps : le
don d'organes, mais également les dons de sang, de gamètes et
d'embryons seraient alors interdits.Il faut rappeler que si la décision
de la mère gestatrice intervient au terme d'un consentement libre et éclairé,
protégé de toute pression financière, il faut lui reconnaître
le sens d'un acte de générosité et de liberté que
la loi se doit de protéger. On constate d'ailleurs que les dérives
marchandes n'ont cours que dans les pays où existe sur cette question
un vide juridique que les sites internet exploitent évidemment sans
vergogne.La possibilité de recourir à la gestation pour autrui
ne devrait être possible que dans le cadre d'indications médicales
strictement fixées par la loi. Ainsi le chiffon rouge des indications
de convenance dont l'exemple caricatural des career women, ou encore la question
plus sérieusement discutée des couples homosexuels masculins,
aurait toutes chances de s'avérer un tigre de papier... N'y a-t-il pas
lieu de penser que la gestation pour autrui correspond à une situation
potentiellement moins «à risque» que certaines formes actuelles
de dissociation de parentalité, telles l'insémination avec donneur
anonyme, le don d'ovocytes et a fortiori le don d'embryon ?Il convient enfin
de dénoncer une injustice de la loi bioéthique française
: l'infertilité due à une insuffisance ovarienne (à la
suite d'une ménopause précoce ou d'un traitement anti-cancéreux)
est en effet seule prise en compte (il est alors légal de pratiquer
des fécondations in vitro avec un don d'ovocyte provenant d'une autre
mère). Mais cette même loi ignore l'indication médicale «symétrique» qui
découle de pathologies utérines engendrant une stérilité irréversible
(hystérectomie, agénésie utérine congénitale
ou «Distilbène Syndrome» malformation utérine liée à la
prise de distilbène par la mère de la patiente quand elle était
elle-même enceinte). Qui jettera la pierre aux parents qui souffrent
de cette différence de traitement d'aller dans un pays où la
gestation pour autrui est autorisée ?Si la condamnation juridique de
la situation de la maternité de substitution en 1991 demeure justifiée,
la pratique qu'elle sanctionne a radicalement changé depuis que la médecine
de la reproduction a permis d'isoler les différentes étapes du
processus qui va de la conception d'un embryon à la naissance d'un enfant.
Il est donc grand temps de se détacher du spectre des mères porteuses écarté par
la Cour de cassation en 1991 et de comprendre que prohiber cette pratique ne
devrait pas empêcher d'admettre une autre forme de gestation pour autrui
qui ne contredirait aucun de nos droits fondamentaux.
Le déroulement satisfaisant des pratiques d'assistance médicale à la
procréation démontre l'efficacité de leur encadrement
juridique. La création prochaine de l'Agence de Biomédecine devrait
permettre de renforcer encore le dispositif de protection contre les dérives
présentes et à venir. De la possibilité d'une maîtrise
des différentes étapes de la procréation, tâchons
de ne garder que le meilleur dans l'intérêt des parents et des
enfants présents et à venir. Et évitons de jeter le bébé avec
l'eau du bain...
Geneviève Delaisi de Parseval, psychanalyste, consultante en bioéthique.
Valérie Depadt-Sebag, Maître de conférences en droit privé.