La loi autorise depuis longtemps un célibataire à adopter, sans regarder sa sexualité. La réforme de la filiation ne changera rien.

Les familles homoparentales existent déjà

Par GENEVIÈVE DELAISI DE PARSEVAL, PSYCHANALYSTE

Libération, le mercredi 14 juin 2000 q

Source : site du journal Libération http://www.liberation.com

  Un collègue psychiatre-psychanalyste fait part de ses inquiétudes sur la manière dont le législateur s'apprêterait, d'après lui, à «chambouler» la filiation, risquant de permettre notamment à des couples homosexuels d'adopter (fantasme qu'on pourrait qualifier de «syndrome de l'après-Pacs») (1). Le docteur Flavigny argumente ses réserves par le fait que le droit français accorderait à un adulte seul, depuis la révision de la loi sur l'adoption (loi dite Mattei), la possibilité d'adopter un enfant; et il voit là une dérive inévitable vers l'autorisation à une demande «superposable» venant, elle, de couples homosexuels.

Or cette argumentation est fondée sur deux conceptions erronées: l'une sur le droit, l'autre sur la réalité des familles homoparentales. Il me semble utile de revenir brièvement sur ces deux points afin ne pas donner corps à une nouvelle forme d'homophobie, qui se déplacerait de la condamnation pure et simple de l'homosexualité d'il y a une dizaine d'années à une forme plus rampante de rejet qui consisterait à penser: «Nous, vrais et bons parents, bons pères (mères) de famille, tolérons les homosexuels, mais à condition qu'ils ne se mêlent pas de marcher sur nos brisées de "parents -hétérosexuels-normaux" ("blancs, normaux, quoi...", aurait dit Coluche!)», parentalité à laquelle leur condition d'homosexuel ne leur permettrait pas, par définition, d'accéder.

L'erreur législative est la suivante: depuis 1966, le droit français a créé une filiation plénière entre un adulte célibataire et un enfant (et il n'a pas été prévu de demander aux dits célibataires la nature de leur sexualité, heureusement...). Rien de nouveau par conséquent dans cette forme de parentalité. Ce qui est nouveau en matière de droit, en revanche, c'est la loi de bioéthique de 1994 qui a permis l'accès à la parentalité (avec dons de gamètes ou d'embryons éventuellement) à des couples concubins, alors que la loi la refuse à ces mêmes couples concubins qui veulent adopter (pour adopter, il faut être marié ou célibataire...). Et ce point a été confirmé en 1996 au moment de la révision de la loi sur l'adoption. La deuxième erreur consiste, elle, à présenter comme a priori dangereux pour l'identité du «petit d'homme» d'être élevé par des parents homosexuels. L'auteur sait-il qu'il existe plusieurs centaines de milliers de familles homoparentales dans notre pays, plusieurs millions en Europe, qu'on les connaît déjà pas mal, qu'on les étudie etc.? Les familles homoparentales existent, nous en avons rencontré (cf. le livre Homoparentalités, état des lieux, ESF 2000). Le «nous» renvoie à nombre d'auteurs de ce livre, non dénués d'expérience (I. Théry, F. de Singly, A. Cadoret, M.-C. Le Boursicot, R. Neuburger, l'auteur de ces lignes, etc.). Cela étant dit sans aucune intention polémique, mais seulement pour indiquer qu'il n'y a pas - plus - de réponse simple de nos jours à la question: «Qu'est-ce qu'un bon parent?».

(1) «On n'adopte pas impunément», par Christian Flavigny, Libération du 8 juin 2000.