Deux naissances peu banales ont eu lieu en France au début de
l'été. Des "premières" médicales,
législatives et psychologiques. De quoi s'agit-il ? Les parents
de ces bébés sont des patients qui avaient suivi sans succès
un parcours de fécondation in vitro à la suite duquel ils
avaient pu recevoir un embryon d’un autre couple qui, lui, avait
la chance d'avoir réalisé son projet parental et avait
fait don de ses embryons dits « surnuméraires". Les
mères qui ont accouché ont ainsi porté un bébé étranger
génétiquement tant à elles-mêmes qu’à leur
mari, devenant « mères porteuses » de leur propre
enfant. Au delà de l’histoire particulière de ces
familles pionnières, il est important de comprendre les enjeux
de cette expérimentation pour le moins hasardeuse dans l’art
de donner la vie; et de s’interroger sur la bombe à retardement
qu'est le don anonyme d’embryon.
Mais pourquoi, se demande-t-on, la fécondation in vitro aboutit-t-elle à la
conception de ces embryons surnuméraires qui encombrent les congélateurs
des principaux Centres de procréations médicalement assistées
du monde (sauf dans les pays, tels la Suède, la Suisse et l’Italie
où la loi interdit la congélation d’embryons) ? La technique
de la FIV consiste à obtenir en laboratoire la fécondation des
ovocytes de la mère par les spermatozoïdes du père. Dans le
meilleur des cas, plusieurs embryons se développent, permettant ainsi
le transfert dans l’utérus de un, deux, ou trois embryons ; mais
la loi bioéthique française ne prévoyant pas de limiter
le nombre d’ovocytes à féconder, on aboutit très souvent à la
conception d’embryons surnuméraires.
Pour comprendre le montage législatif du don d’embryon, il faut
faire un bref retour sur cette loi -votée en juillet 1994 et révisée
en décembre 2003- qui a autorisé le don anonyme d’embryon à un
couple receveur affecté d’une double stérilité, à condition
que le couple donneur ait acté par écrit son consentement. Les
décrets d’application sur cet article particulier ont beaucoup tardé (ils
ont été votés en 1999 seulement) la première naissance
est donc récente; mais la procédure est désormais lancée
et d’autres grossesses sont en cours. Quelques données chiffrées
sont intéressantes à connaître : il y a environ 200.000 embryons
congelés en France à l’heure actuelle et ce chiffre augmente
de 20.000 embryons supplémentaires chaque année. On estime toutefois
que 5 à 10% d’entre eux seulement seront susceptibles d’être
donnés, tenu compte des réticences des parents donneurs. Ainsi
en décembre 2002, 2826 embryons étaient ainsi disponibles, provenant
de 756 couples qui avaient suivi un protocole de FIV.
Il n’existe pas en France de consensus sur le statut philosophique de l’embryon.
Rien d’étonnant par conséquent à ce que le devenir
des embryons congelés « hors projet parental » figure parmi
les questions les plus épineuses de l’éthique biomédicale.
Cela explique-t-il pour autant les apories éthiques inextricables engendrées
par la loi bioéthique française ? Nous ne le pensons pas. Qu’on
en juge. La loi interdit par exemple que soient réimplantés post-mortem
les embryons d’un couple, dans le cas rares -mais non exceptionnels- où le
futur père meurt pendant que sa femme est en procédure de Fiv .
On se souvient peut-être de la tragique histoire du couple Pirès
terminée il y a plusieurs années par un jugement qui a interdit à Madame
Pirès devenue veuve (son mari s’était tué en voiture
en allant la voir à l’hôpital) de pouvoir porter son propre
embryon, emblématique pourtant de son projet parental avec son défunt
mari.
La loi interdit d’autre part qu’une femme porte un enfant pour un
autre couple. Nous faisons ici référence à la légitime
condamnation en 1999 par la Cour de Cassation de la pratique des « mères
porteuses » ; légitime, pensons-nous, parce qu'avant l’existence
du don d’ovocyte, c’était un embryon conçu avec son
propre ovocyte et le sperme du mari du couple commanditaire -que la mère
gestatrice était incitée à abandonner. Mais il est absurde
que cette interdiction demeure aujourd’hui dans des cas totalement différents,
avec des indications médicales tout à fait valides. Citons par
exemple l’histoire récente d’une patiente qui a dû subir
une hystérectomie au cours de son accouchement. Face à l'interdiction
de la gestation pour autrui(GPA), cette jeune mère de famille (le bébé a
pu être sauvé) a dû se résoudre à aller aux
USA pour trouver une mère gestatrice qui, de manière parfaitement
légale Outre-atlantique, a porté son deuxième enfant (conçu
avec ses gamètes et celles de son mari); ces parents ont ainsi pu donner
une petite soeur à leur fils. Interdiction ô combien paradoxale
quand on sait que la même loi autorise une femme qui n’a pas ou plus
d'ovocytes à recourir à une donneuse anonyme ; la mère porte
un embryon qui lui est, d'une autre manière, à demi étranger.
Il faut enfin savoir que la loi bioéthique interdit le double don de gamètes,
procédure d’AMP autorisée ailleurs, en Espagne notamment
où se rendent nombre de couples qui ne peuvent se résoudre au don
d’embryon « à la française », préférant
avoir un enfant créé ex nihilo, sans « parents de conception » et
sans frères et sœurs. Car dans la procédure de double don,
l'embryon provient des gamètes de deux donneurs anonymes puis est transplanté dans
l’utérus de la mère gestatrice, légale et éducative.
Cette dernière devient elle aussi "mère porteuse" de
son propre enfant ; à cette différence près que les parents
qui préfèrent cette procédure disent qu'avec le double don
ils évitent d’être confrontés plus tard au fantasme
d’inceste entre leur enfant et les enfants du couple donneur ; et qu'il éloignent
en même temps le fantasme d’avoir «volé» un enfant à une
famille. Arguments qu'il nous semble légitime d'entendre.
Après avoir verrouillé l’anonymat des gamètes, la
loi bioéthique fait ici de nouveau alliance à la fois avec le mensonge
et avec le le déni. Créant de toutes pièces une fausse filiation,
elle supprime définitivement à l'enfant né ainsi toute chance
d'avoir un jour accès à ses origines tant humaines que génétiques.
La machination oedipienne est reconstituée ; sauf qu’il ne s’agit
pas ici d’un mythe mais d’une histoire vraie !
Une clé peut permettre de décoder l'apparent arbitraire des lois
qui encadrent les conceptions "médicalement et socialement assistées".
Le souci obsessionnel du législateur de l’époque était
de ne « toucher » ni à l’embryon, ni à la grossesse,
représentations et réalités considérés tous
deux comme « sacrés » (même si le mot n’a pas été prononcé).
Il ne fallait notamment à aucun prix détourner l’embryon
de sa finalité supposée : devenir un enfant. Pas question donc
de détruire les embryons surnuméraires. Ce quitte à induire
de véritables « choix de Sophie" chez les candidats parents
en leur demandant de choisir eux-mêmes le destin d’embryons qu’ils
n’avaient pas voulu (ce qu’ils demandaient à la FIV c’était
un ou deux enfants, pas dix embryons ). Le don d’embryon s’est ainsi « providentiellement » présenté au
législateur comme une alternative à la destruction. On avait même
imaginé à l’époque de présenter ce « montage » comme
une adoption ante-natale qui paraissait plus « moral » que le don!
Comparer don et adoption est en réalité plus qu’hypocrite
car l’adoption consiste à trouver une famille pour un enfant né et
abandonné, tout à l’inverse du don qui rend disponible un
embryon pour pallier l’infertilité d’un couple.
Ce qui est jugé bon pour une partie conservatrice de l’opinion (la
sacralisation de quelques cellules) devrait-il faire loi? Nous ne le pensons
pas. Il est en outre illusoire de croire que les couples concernés (tant
les donneurs que les receveurs) puissent donner un consentement véritablement éclairé à ce
geste. Imaginons un instant ce qui peut se passer dans le psychisme de parents
potentiels qui reçoivent par courrier un questionnaire leur demandant,
en cas d’absence de nouveau projet parental, de choisir entre la destruction
de leurs embryons congelés, le don à la recherche scientifique
ou le don à un autre couple infertile (QCM quelque peu pervers!). Certains
parents croient en outre trouver dans le don la moins mauvaise des solutions,
ce comportement généreux leur apparaissant également comme
une marque de reconnaissance envers la médecine qui leur a permis d’avoir
des enfants. Mais quelle sera la douleur de ces parents donneurs si quelques
années plus tard un de leurs enfants venait à mourir? Et qui peut
faire le pari que jamais un nouveau désir d’enfant ne germera chez
eux? Quant aux enfants de ces couples, en apprenant qu’ils ont des frères
et sœurs élevés dans une autre famille, quelle culpabilité ressentiront-ils,
eux les « chanceux » qui ont été « choisis » par
le biologiste et transférés dans le « bon utérus »,
celui de la mère qui les a gardés ? La problématique du
couple receveur qui donne la vie sans la transmettre n'est, pour sa part, guère
plus facile à élaborer, surtout au terme du savant tissage de l’anonymat
et du secret imaginé par le législateur. Contrairement à l'adoption
où c’est le jugement qui crée la filiation, ici tout se passe
en effet aux yeux du monde extérieur comme si le couple avait procréé naturellement.
Tant la psychanalyse que le simple bon sens montrent cependant que nier quelque
chose ne fait qu'accentuer le poids de ce que l'on cache.
Il s’agit dans cette habile construction d’un vol pur et simple d’une
pièce maîtresse du puzzle de l’histoire de ces futurs enfants.
Qui, si l’on y regarde de près, ressemble étonnamment au
montage juridique de l'accouchement « sous x » ; il s'agit en effet
du même déni de la filiation d’origine d’un enfant,
mais "en pire" dans la mesure où avec le don d’embryon
c'est une naissance « sous x » qu'on crée ex nihilo. Quand
on connaît les difficultés qu'ont les enfants nés ainsi à colmater
la blessure de leur abandon d’origine, on peut se demander ce que ces imbroglios
vont donner pour ceux qui naîtront de ces d’embryons « donnés-abandonnés ».
Va–t-on devoir créer dans vingt ans un nouveau CNAOP (Conseil national
pour l’accès aux origines personnelles) ? Comment ces futurs adultes
pourront-ils « faire avec » la crainte qu’ils auront de rencontrer
(de procréer avec ?) des frères ou sœurs, ce sans le savoir
? Il existe de toutes façons de fortes chances pour que les enfants nés
ainsi connaissent les circonstances de leur conception : les médecins « fivistes » sont
les premiers à recommander la transparence. Que répondrons nous à ces
enfants qui, dans vingt ans, viendront frapper à la porte de nos Laboratoires
? Il est irresponsable de sous-estimer les "dommages collatéraux" de
cette situation inédite. Réfléchissons à deux fois
avant d’entériner une des plus manifestes aberrations de la loi
bioéthique.
Geneviève Delaisi de
Parseval, Pauline Thiberghien.
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