On retrouve, dans l'affaire Lubin, comme dans celle du petit Grégory, une charge idéologique contre la mère.

Coupable, forcément coupable

Par GENEVIÈVE DELAISI de PARSEVAL

Libération, le lundi 26 novembre 2001

Source : site du journal Libération http://www.liberation.com

Au vu du verdict condamnant une deuxième fois Magali Guillemot, la mère du petit Lubin, et elle seule, on ne peut s'empêcher de penser à la phrase célèbre («sublime, forcément sublime») de Marguerite Duras qui stigmatisait et magnifiait à la fois un supposé infanticide perpétré par la mère. L'affaire du petit Grégory et celle du petit Lubin se ressemblent peu. Un point, cependant, les rapproche et mérite l'attention de nos concitoyens: la charge idéologique contre la mère.
Dans l'affaire Lubin, tout se passe comme si, en filigrane des débats, on avait assisté à un acharnement de la vindicte publique (la justice, les jurés sont, on le sait, le reflet de la société) contre la mère, Magali Guillemot, ceci au «bénéfice» du père. De ce père, Jérôme Duchemin, pourtant décrit par les différents experts, lors des deux procès, comme une personnalité pathologique de type psychorigide avec des mécanismes de défense d'allure psychotique, etc.
«Etc.» pour dire qu'il nous paraît impossible, tant comme citoyenne qu'analyste, de faire l'économie d'une interrogation sur ce jugement manichéen qui a condamné la mère seule et a acquitté le père, le lavant de tout soupçon au point de ne même pas retenir contre lui la qualification de non-assistance à personne en danger. Un comble quand on sait qu'il s'occupait quotidiennement de son bébé et ne pouvait pas, a minima, ne pas voir! Une avocate générale à la retraite est, d'ail leurs, venue dire à la barre qu'il lui était apparu que le juge d'instruction, lors du premier procès, avait très rapidement établi sa conviction dans le sens de la culpabilité de la mère. A partir de là, a-t-elle poursuivi, «l'information a été gelée et a porté sur les faits reprochés à la mère alors qu'il y avait des charges contre le père». Témoignage particulièrement significatif de cet acharnement antimère.
On pourrait ici faire le procès de l'institution judiciaire, de sa rigidité en l'espèce (on ne peut rejuger une personne déjà jugée), ceci au mépris d'un évident bon sens et au risque d'un déni de justice. Tel n'est ici ni notre propos ni notre compétence. Comme simple observateur des débats en tout cas, il nous semble évident que les deux parents ont, chacun, une part de responsabilité.
Mais comme psychanalyste (peu suspecte au demeurant de vouloir discriminer les pères), ayant appris au cours des trois dernières décennies à connaître le fonctionnement mental des femmes qui deviennent mères (en particulier celui des primipares, mères pour la première fois), il nous paraît nécessaire de dénoncer ce qui semble constituer, dans ce jugement, un retour de balancier dans les mentalités et les représentations. Avec deux questions. Après un siècle (le XXe) au cours duquel les pères ont été systématiquement taxés de carence, d'absence, de violences, sommes-nous en train d'assister à un retour idéologique d'un discours «pro- père»? Le jugement de l'affaire Lubin ne marque-t-il pas, d'autre part, un retour du vieux discours de fond (fonds de commerce aussi pour nombre d'auteurs) sur la magnification de l'instinct maternel?
Magali Guillemot nous semble avoir fait les frais, à un prix excessivement élevé, de la place octroyée par la société de manière idéalisée ? et donc ambivalente ? à la maternité; on a le sentiment qu'elle a aussi payé le prix de la «circonstance aggravante» que semble avoir eu son congé de maternité, période privilégiée où, dans le stéréotype, la mère est supposée n'avoir rien d'autre à faire que de s'occuper de son enfant et d'y trouver le plus grand plaisir. A la différence du père, de l'homme, lui qui travaille à l'extérieur pour gagner la vie de sa famille. De l'homme «normal, quoi», aurait dit Coluche...
Va également dans ce sens le fait qu'il n'a guère été question d'une pathologie éventuelle de cette mère qui venait d'accoucher au moment des faits. Les jurés ont-ils, par exemple, été informés de ce qu'est la dépression postnatale (DPN, dans le jargon des périnatalogistes), pathologie grave tout autant que fréquente qui touche, dans les pays développés, 10 % des mères? Et encore faut-il préciser que ce chiffre ne concerne qu'une population de femmes qui bénéficient d'un bon environnement affectif, relationnel et matériel. Gageons donc que la statistique a eu toutes chances d'être plus élevée dans le cas de Magali Guillemot, dont le couple allait à vau-l'eau.
Une dernière remarque. On (la presse surtout) a reproché, au fond, à cette mère de n'avoir pas su «se vendre» lors des procès, de n'avoir pas trouvé les mots ni la bonne attitude pour émouvoir les jurés («Elle n'a pas su convaincre de son innocence», commente le Journal du dimanche du 18 novem bre). Il semble bien en effet qu'on lui ait tenu rigueur de ne pas avoir (assez) pleuré, d'être restée froide, distante, comme indifférente. Faudra-t-il que les avocats prévoient pour leurs clients un cours de formation à la comparution aux assises, façon Loft Story?
En vérité et très sérieusement, on a l'impression que si Magali Guil lemot en avait fait un peu plus, elle aurait pu, comme l'avait d'ailleurs suggéré l'avocat général, être acquittée au bénéfice du doute, comme son mari. Ce qui ne préjuge en rien de la vérité sur cet infanticide; histoire tragique qui restera probablement dans le non-dit. Mais une occasion a été manquée: celle d'arriver à envisager que les rôles et les fonctions de la parentalité puissent être détachés d'assignations sexuelles archaïques.

Geneviève Delaisi de Parseval est psychanalyste. Dernier ouvrage paru: «la Part de la mère» (Odile Jacob).