DECLARATION DE BARCELONE
Novembre 1998

Propositions politiques à la Commission Européenne par les Partenaires du Projet BIOMED-II, projet sur les Principes Ethiques de Base en Bioéthique et Biodroit


A. Préambule
B. Contexte
C. Articulation des principes
   1. Autonomie
   2. Dignité
   3. Intégrité
   4. Vulnérabilité
D. Applications
E. Liste de partenaires
C. Renseignements pratiques



A. Préambule

Ce document est le résultat d'un processus de discussion entrepris dans le cadre d'un projet BIOMED par un groupe de 22 partenaires de la communauté européenne et coordonnée par le Centre de Recherches en Ethique et Droit de Copenhague. Les partenaires venaient de différentes disciplines et horizons philosophiques, mais leurs intérêts communs se situant dans les questions éthiques soulevés par les avancées de la biomédicine et des biotechnologies.

Le travail s'est essentiellement élaboré lors de quatre grands meetings (Copenhague, Sheffield, Utrecht et Barcelone) mais aussi par un échange entre partenaires. Ces rencontres ont résulté en une publication (Basic Ethical Principles in European Bioethics and Biolaw Vol. I-II) ainsi qu'en une série de Working Papers comme première étape a l'ouverture d'un large débat démocratique a propos des questions les plus controversées dans le débat bioéthique. Le premier volume est rédigé par Jacob Dahi Rendtorff and Peter Kemp, mais a été largement rediscuté par l'ensemble des partenaires qui ont participé au dernier meeting a Barcelone en novembre 1998. Le second volume contient des articles des partenaires en lien avec le projet et d'autres personnalités qui ont participés aux réunions de ceux-ci.

Ce document et ses recommandations s'adressent a différentes audiences, a des décideurs européens de tous niveaux, pour des éducateurs, des chercheurs et des praticiens, mais surtout a tout citoyen européen, au-delà de l'union européenne. Son but est de stimuler et de participer au débat sur les questions conflictuelles de notre temps. Ces questions ne doivent d'ailleurs pas être discutées en relation a notre environnement européen local mais de manière plus globale. Les questions ne se limitent pas aux conditions du bien-être des populations mais s'étendent aux questions de justice sociale, du bien-être des animaux et de l'environnement.

Vous trouverez dans ce document quelques remarques a propos du contexte dans lequel les partenaires pensent que les questions éthiques devraient être abordées. Quatre principes sont considérés comme des idées régulatrices pouvant orienter et faire avancer le débat contemporain, ainsi qu'un agenda mettant en lumière les questions urgentes et des propositions pour les aborder.

De fait les partenaires proposent ce document en tant qu'experts mais surtout dans l'esprit d'encourager une citoyenneté responsable. Il est clair que pour tous les partenaires qu'il n'est nullement question d'imposer leurs propositions ce qui annihilerait l'intentionnalité éthique de leur démarche. L'intention explicite des partenaires est de faciliter un débat démocratique critique et responsable des décisions qui sont prises au nom des citoyens.






B. Contexte

Dans le but de discuter ces propositions, les partenaires sont partis de l'idée que la valeur d'autonomie (articulée à celles d'intégrité, de dignité et de vulnérabilité) devait être placée dans le contexte du respect pour autrui ce qui implique déjà une éthique de la solidarité, de la responsabilité et de la justice comme équité. Pourtant il est important de souligner que l'idée d'autonomie dans le contexte du respect pour autrui devrait être conceptualisée par les champs pluriels de la biomédecine des biotechnologies, de l'économie et de la culture européenne des cinq dernières décennies de ce siècle.

Le développement accéléré de la biomédecine et des biotechnologies en particulier dans le domaine de la génétique a crée et continue de créer de nouvelles possibilités, mais pose parallèlement d'importantes questions sur la place de l'humain des animaux des plantes et généralement de l'environnement naturel et social et nous invite à des changements de paradigmes. Selon certains partenaires les questions doivent être débattues ouvertement et de manière urgente, mais sans mener à des conclusions hâtives par manque de réflexion. il y a en effet d'énormes difficultés à articuler les termes à partir desquelles ces questions doivent être pensées, discutées voire résolues. Les propositions ci-dessous identifient quatre termes clés qui nous servirons de référence commune dans ce débat (les quatre principes que sont l'autonomie, la dignité, l'intégrité et la vulnérabilité) mais proposent aussi des manières d'articuler ces idées régulatives dans un contexte normatif.

Deuxièmement, les propositions doivent être lues comme une contribution à un processus de dialogue et de débat à propos de régulations en bioéthique et biodroit dans le cadre de l'Europe. De façon plus globale, les régulations en Europe reflètent déjà une culture basée sur le souci pour autrui, comme en témoigne par exemple la convention de Strasbourg sur les droits de l'homme et la biomédecine qui a été finalisée durant notre projet; il existe également en Europe un soutien fort à l'idée de non discrimination et de protection de l'environnement. Les Européens partagent le sens de la responsabilité envers une viabilité écologique. Pourtant nous avons encore à dessiner le cadre conceptuel sur lequel nous pouvons exprimer nos accords et nos désaccords. Les quatre principes mentionnés ci-dessus sont des outils importants pour amorcer ce débat. Nous ne prétendons pas pourtant que ceux-ci englobent l'ensemble de la problématique, ni qu'ils Sont les seuls moyens d'exprimer une éthique du souci d'autrui ou du respect de l'environnement. La manière dont ils ont été articulés est portée par le désir d'atteindre un consensus ouvert. Alors que le groupe était d'accord que ces quatre principes sont essentiels à l'analyse des questions de bioéthique et de biodroit, il y avait de profonds désaccords sur l'interprétation substantive de ces concepts régulateurs, en particulier la notion de dignité. L'accord était général sur la nécessité d'articuler la notion de vulnérabilité. ~ doit être clairement noté que toute application de ces notions dépendra lourdement de l'interprétation particulière des principes.

Troisièmement, les propositions suivantes offrent simplement un cadre conceptuel à l'intérieur duquel chaque état européen peut débattre les questions de bioéthique et de biodroit. Pourtant, il ne faut pas penser, qu'un langage commun implique une résolution facile des conflits d'interprétation des principes présentés dans la section suivante. Faciliter le débat ne revient pas à masquer les différences d'interprétation des valeurs entres partenaires. Chacun des quatre principes régulateurs peut être considéré comme un guide à la décision bien qu'il soit soumis à des conflits d'interprétation; la relation précise entre chaque principe sera illustrée par des positions théoriques plus générales défendues par les participants; comme la question de savoir quelle forme de vie doit être considérée comme incluse dans l'idée de l'autre (comme porteurs de droits ou comme personne ayant des intérêts qui doivent être défendus ou protégés) ou dont le statut de l'autre est contesté dans la relation avec d'autres hommes ou avec l'environnement dit naturel.

Quatrièmement, ce cadre de réflexion est proposé pour usage dans le contexte européen comme communauté économique au sein du marché global. Au sein de ce cadre économique, il doit être clair que la biotechnologie et la biomédecine représentent un marché très compétitif. Le marché implique un processus d'exclusion qui opère à différents niveaux. Le premier niveau est celui de la limitation du pouvoir représentatif des citoyens dans le processus de décision dans ce marché global. Ce document a pour but de signaler la volonté de compenser ce déficit démocratique. A un autre niveau ce marché post national a pour effet d'exclure les moins privilégiés à travers le monde du nord au sud. Bien que ce document ait été rédigé par des européens pour un débat au sein de l'Europe comme nous l'avons souligné, la biotechnologie est un marché global. Si le sens de cette mondialisation du marché est que le souci éthique de l'autre ne connaît pas de frontières régionales, la signification pour nous est que le discours éthique doit traiter la question des impératifs d'investissements commerciaux comme impératifs de la biotechnologie. Cela nous amène à dire que des positions communes au sein de l'Europe ne pourront être éthiquement défendables Si elles négligent les intérêts de non européens. Elles n'auront pas d'effectivité pratique Si elles échouent à juger les pratiques commerciales liées aux biotechnologies.

Finalement, il nous semble crucial que nous (même les autonomes) nous considérions comme fondamentalement vulnérables. L'éthique du souci d'autrui n'est pas simplement une question de protection paternaliste des incapables. Elle est plutôt une éthique qui se construit sur la prémisse que nous sommes tous potentiellement capables d'être menacés ou blessés par l'indifférence (paternaliste parfois) 'des actions de ceux qui méprisent les droits des vulnérables.

Tout en reconnaissant la complexité de l'application des principes régulateurs, le groupe a pu se mettre d'accord sur les prescriptions suivantes, du moins en principe.


C. Articulation des principes


    

1. Autonomie
ne doit pas être interprétée dans le seul sens libéral de permission donné aux traitements et ou aux expérimentations. Cinq aspects de l'autonomie doivent être pris en considération. 1) La capacité de créer des idées et d'avoir des buts 2)la capacité d'une intuition morale (auto-nomos), ou la capacité d'avoir un sens de la vie privée 3) la capacité de réfléchir et d'agir sans coercition. 4) la capacité d'une responsabilité personnelle et envers les autres (implication politique) 5) la capacité d'un consentement éclairé. Mais, le principe d'autonomie ne peut exprimer à lui seul le respect et la protection dus à la personne humaine. L'autonomie est une idée régulatrice et un idéal à la mesure de la finitude humaine, tenant compte des déterminations biologiques et sociales, du savoir et de la capacité de raisonnement fini des individus etc. Nous nous engageons donc en tant que sociétés démocratiques à reconnaître la personne humaine comme étant un être complexe, un corps vivant situé dans un contexte culturel. L'autonomie des jeunes enfants, des personnes dans le coma ou handicapées mentales devant être articulée à la responsabilité que nous impose leur vulnérabilité spécifique.




  

2. Dignité
est la propriété selon laquelle les êtres possèdent un statut moral. Différentes conceptions de la dignité s'affrontent dans la culture européenne. La dignité est identifiée soit comme la capacité pour l'action autonome, la capacité d'expérimenter la douleur ou le plaisir, être humain (au sens biologique) ou être un organisme vivant, ou un système. Reconnaissant la diversité de ces définitions, notre position est qu'il est malgré tout possible d'argumenter avec succès que l'humain ont des devoirs envers la partie non humaine de la nature vivante.

 



  

3. Intégrité. Le respect immanent de notre culture des droits de l'homme fait de l'intégrité la condition de l'expression d'une vie digne, dans sa dimension mentale et physique sans que celle-ci ne soit soumise à une intervention extérieure. Ainsi, le respect pour l'intégrité est un respect pour le droit subjectif et en particulier pour la perception singulière de chaque patient vis à vis de sa maladie et de la pertinence des soins qui lui sont proposés qui en font le seul juge d'arrêt thérapeutique éventuels ou de sa « qualité de vie ». L'intégrité se réfère à la cohérence de la vie d'êtres à qui l'on reconnaît une dignité irréductible à laquelle on ne peut porter atteinte et qui ne peut être mise à mal. Lorsque l'on considère des personnes humaines l'on doit se référer à l'ensemble de leur vie mémorisée et narrée. C'est à la biographie d'une personne telle qu'elle s'est intégrée ou s'intégrera sans le corps social que l'on doit se référer et non au temps de la maladie. Certains intégreraient dans cette définition la cohérence de la vie animale ou végétale ou la création de l'univers qui conditionne la vie dans son ensemble.



   

4. Vulnérabilité. Ce principe exprime essentiellement deux idées.
  (a) il exprime pour tous la finitude et la fragilité de l'existence humaine qui, pour ceux capables d'autonomie, il fonde la possibilité et la nécessité de tout discours moral mais aussi de toute éthique.   (b) la vulnérabilité- est l'objet de tout principe moral en ce qu'il est un appel à la responsabilité et signale la limite de toutes liberté. Les vulnérables sont ceux pour qui les principes d'autonomie de dignité ou d'intégrité sont à même d'être menacés. Tout individu capable de dignité est protégé ce principe. Mais ce principe requiert spécifiquement non seulement une non interférence avec les principes de dignité, d'intégrité, autonomie d'autrui mais aussi le devoir d'assistance envers ceux qui sont incapables de réaliser leur potentiel humain. De cette prémisse il s'ensuit un droit positif à l'intégrité et à l'autonomie qui forme la pertinence des idées de solidarité, de non discrimination et de communauté.

 





D. Applications

5. Les quatre idées régulatrices ou principes n'abolissent en rien les variations culturelles en Europe, pour autant qu'elles respectent le principe de subsidiaire.

6. L'application des idées régulatrices ne devrait pas se limiter à la sphère de l'humain; les notions de dignité et vulnérabilité peuvent également être considérées comme base de réflexion pour la réglementation concernant les animaux, les plantes et l'environnement.

7. Chaque pays devrait avoir un service de santé nationale basé sur le principe d'assurance sociale.

8. Une charte des patients et un rôle pour les patients dans les décisions de santé publique, devrait faire partie des législations de tous pays européens.

9. Les patients ont le droit d'accepter ou de refuser tout traitement expérimental.

10. Des non-experts devraient participer aux comités éthiques sur la recherche expérimentale.

11. Les enfants nés par le résultat d'un don de gamète ont le droit à l'information sur leurs parents génétiques, mais les donnants ne devraient pas avoir de responsabilités ou de devoirs envers ces mêmes enfants.

12. Les embryons devraient recevoir un statut moral proportionnel à leur degré de développement.

13. Il devrait y avoir une protection juridique des animaux et de la biosphère.

14. L'anonymat des donneurs d'organes devrait être rediscutée.

15. L'euthanasie et d'autres décisions de fin de vie devrait être le sujet d'une consultation et d'un débat public.

16. La commercialisation de tissus humains, comprenant le génome humain et le don d'organes devrait être une question ouverte au débat public.




Les propositions politiques ont été signées par les partenaires suivants:



Traduction du texte anglais par Mylène Botbol-Baum

Ces propositions politiques font partie du Rapport Concluant du Projet Principes Éthiques de Base en Bioéthique et Biodroit, Institut Borja de Bioéica, Barcelone & Centre de Recherches en Etique et Droit, Copenhague, 1999. Le rapport discute amplement les quatre principes éthiques et leur applications. Les commentaires des partenaires aux propositions politiques figurent au tome II du rapport.

Pour des renseignements complémentaires s'adresser au
"Centre de Recherches en Ethique et Droit"
Valkendorfsgade 30, III
DK 1151 Copenhague K
tél: 45-3369.1616 / fax: 45-3369.1617
e-mail: ethiclaw@inet.uni2.dk