La révision obligatoire de la loi de bioéthique est l'occasion de reposer la question de l'anonymat des dons d'ovocytes.

L'anonymat violente l'enfant

Par SYLVIE FAURE-PRAGIER, MURIEL FLIS-TRÈVES, EVA WEIL ET GENEVIÈVE DELAISI DE PARSEVAL
Sylvie Faure-Pragier, Muriel Flis-Trèves et Eva Weil sont psychanalystes, membres de la Société psychanalytique de Paris.
Geneviève Delaisi de Parseval est psychanalyste.

Libération, le vendredi 2 juillet 1999

Source : site du journal Libération http://www.liberation.com

En garantissant le secret,
la législation française supprime définitivement à l'enfant issu du don
toute chance d'avoir
accès à
ses origines.

La loi française de bioéthique de 1994 a rendu obligatoire l'anonymat, la gratuité et le volontariat pour le don d'ovocytes (1), et a interdit le don direct qui se pratiquait depuis des années dans notre pays.

A nos frontières, en Belgique, au Royaume-Uni et plus loin, au Canada, le don direct après accord entre deux femmes qui se connaissent reste possible. Dans certains Etats des Etats-Unis, on peut même «choisir» sa donneuse sur catalogue ou sur l'Internet.

En France, la législation a imposé l'anonymat. En garantissant le secret, elle supprime définitivement à l'enfant issu de ce don toute chance d'avoir un accès à ses origines. La révision obligatoire de la loi d'ici la fin de l'année pose la question de l'anonymat du don d'ovocytes.

Procréer avec l'aide d'un tiers trouble la transmission génétique. Dénier cette réalité grâce à l'anonymat est une tentative vaine, qui ajoute à la rupture de filiation le poids d'un secret, dommageable aussi bien pour les parents que pour l'enfant ainsi conçu. Pourquoi le don d'ovocytes devrait-il être obligatoirement anonyme? Les avantages de l'anonymat n'ont été démontrés ni pour les parents, ni pour les enfants. Peut-être sont-ils alors rassurants pour les tiers. Différents motifs sont parfois avancés par les futurs parents:

- crainte que l'enfant aille rechercher un jour sa «mère» biologique;

- refus d'avoir une dette trop importante à l'égard de la donneuse. «Si on ne la connaît pas, on ne lui doit rien»;

- angoisse que celle-ci ne se sente des droits sur l'enfant conçu «grâce à elle».

Certes, on sait que l'ovocyte ne fait pas la mère, et qu'une dette sera toujours payée, d'une façon ou d'une autre. Encore faudrait-il que l'enfant né du don ne soit pas le débiteur inconscient payant la dette au prix fort. La femme infertile (receveuse) vient avec sa donneuse qui offrira ses ovocytes au pool anonyme des centres de conservation, de sorte que, pour la receveuse, le don sera «pour elle mais pas pour elle», puisque les ovocytes de sa donneuse seront pour une inconnue. A son tour, la receveuse recevra des ovocytes d'une autre anonyme.

L'anonymat renforce l'image de «supermère» de la donneuse fertile, celle qui rend mère une autre femme et qui, dans le même temps, doit disparaître de l'histoire pour que la filiation biologique ne pèse pas d'un poids trop lourd, pour que les futurs parents se sentent de «vrais parents». Devenue dérangeante, la donneuse peut être évincée de l'histoire de l'enfant. Reconnaître la place de la donneuse pour, dans le même temps, l'annuler, parce qu'inconnue, est un mécanisme psychique connu, qui s'appelle le déni. Les législateurs espèrent-ils qu'en l'anonymisant on la supprimera?

Les donneuses anonymes se raréfient, l'attente pour les receveuses devient interminable, et le tourisme médical vers l'étranger se fait de plus en plus fréquent. Nombreuses, aujourd'hui, sont les femmes qui préféreraient accueillir directement et ouvertement le don d'une parente ou d'une amie: c'est-à-dire qui sont prêtes à faire un don non anonyme de femme à femme.

L'anonymat du don féminin a été adopté par similitude avec le don de sperme. Or les singularités du don d'ovocytes méritent d'être repensées. Le besoin d'effacer le caractère adultérin ou incestueux, qui angoisse les praticiens des inséminations avec donneur, a généré cette règle d'anonymat, si bien que le déni est lié plus à la représentation sexuelle qu'à la filiation. Dans l'intervention consistant à prélever les ovocytes, l'équivalence avec l'acte sexuel disparaît au profit de la technique opératoire, et l'analogie se fait plutôt avec un don d'organe. En effet, avec le développement de la grossesse, la stérilité s'efface. La femme porte l'enfant, et les neuf mois de sa grossesse rendent plutôt accessoire le don d'un ovule face à ce pouvoir de devenir mère qui «guérit» vraiment la stérilité!

Ainsi, l'anonymat accroît le risque d'évitement de la vérité psychique du don que les parents connaissent et sont de fait invités à méconnaître. La loi les incite à adopter une position qui pérennise l'illusion d'être les géniteurs alors qu'ils ne le sont pas. «Un enfant doit avoir deux parents et pas un de plus», dit le législateur, qui se fait l'allié du secret et du mensonge. Le voici complice volontaire de cette tentative d'annuler la portée symbolique de l'acte envisagé.

Le secret peut être une violence faite à l'enfant. Celui-ci pressent une énigme, quelle que soit l'habileté des parents à ne rien laisser paraître. Le malaise et l'idée d'une tromperie filtrent souvent à l'insu du couple. L'enfant perçoit de toute façon qu'il y a un secret, «comme si, en naissant, il avait fait quelque chose de mal». Il se sent coupable sans jamais savoir de quoi. Si ses parents se résolvent à lui dire la vérité, celle-ci sera forcément incomplète car eux-mêmes ignorent souvent tout de la donneuse d'ovocytes. Si la vérité biologique mise en avant est si grave et si importante, pourquoi chercher à en effacer la trace? Pourtant, chacun insiste en même temps sur la prépondérance de l'amour, de l'éducation et de la parentalité sur la négligeable biologie!

Tout cela est la conséquence de la difficulté à assumer la transgression de l'ordre naturel effectué par cette procréation. Admettons simplement que, secret ou non, on ne répare rien. Il y a vraiment une rupture de la filiation biologique, pourquoi le nier? La toute-puissance de l'homme qui arrive à dépasser l'impossibilité de la procréation ne devrait pas tant nous effrayer.

Les psychanalystes que nous sommes souhaitent alerter l'opinion, parce que nier quelque chose ne fait qu'accentuer le poids de ce que l'on cache. Notre expérience confirme que le don direct, autrefois permis, peut satisfaire les intéressés. N'est-ce pas le moment, lors de la révision de la loi, de pratiquer une évaluation nationale et internationale, large et sereine, des dons directs et anonymes? La loi décide à la place des femmes. A la place des femmes infertiles qui, actuellement, ne peuvent pas choisir de savoir ou d'ignorer d'où provient l'ovocyte qui se développera dans leur utérus. A la place des donneuses qui ne peuvent décider de savoir ou non à qui elles offrent leurs ovocytes.

Le choix de savoir ou le choix d'ignorer pour soi et son enfant doivent rester libres. Sans quoi l'enfant ne sera qu'illusoirement protégé, le parent injustement infantilisé. La recherche sur ses origines ne se résume pas, comme certains le pensent, à une vérité biologique, mais celle-ci participe de l'histoire de chacun. C'est en la rendant délibérément inaccessible qu'on lui donne une importance démesurée. A une époque où l'on se permet de faire des recherches de paternité sur les morts, pourquoi s'interdit-on hypocritement un savoir sur les vivants?

(1) Cellule reproductrice femelle qui n'est pas arrivée à maturité.