Le PS et l'homoparentalité

Par GENEVIÈVE DELAISI DE PARSEVAL, PSYCHANALYSTE

Libération, le jeudi 22 juin 2006

  Savoir si le futur candidat à l’élection présidentielle est pour ou contre l’homoparentalité est devenu un point incontournable d’une campagne électorale déjà bien entamée. Ségolène Royal a de nouveau exprimé son soutien à cette cause –elle l’avait déjà fait lorsqu’elle était Ministre de la Famille- dans l’ interview qu’elle a donnée au magazine Têtu. Dominique Strauss-Kahn pour sa part, dans la préface au livre de Martine Gross et Mathieu Peyceré, Fonder une famille homoparentale, avait clairement donné son opinion sur le fait que l’orientation sexuelle d’un individu ne préjugeait en rien de sa capacité à élever un enfant et à lui fournir « ce qui est essentiel, amour, partage des valeurs, respect de soi et des autres, conscience de vivre en collectivité ». Quel chemin parcouru au PS en quatre ans, de 2002 à 2006 ! Que l’on se souvienne des propos donnés au même journal Têtu par le candidat Jospin qui s’opposait à l’homoparentalité au nom des « pertes de repères » dont souffriraient, selon lui, les enfants qui n’auraient pas l’image stable d’un père et d’une mère vivant ensemble… Toute cette rhétorique a disparu du discours actuel du PS. La famille dans son sens large, et non plus dans son seul sens P/M/E (père/mère/enfant), est désormais un enjeu porteur. Quant à la question de l’homoparentalité, elle est devenue un sujet presque politiquement correct, «tendance » même … Y compris à droite où quelques parlementaires de la majorité s’y sont déclarés favorables. Notons que le terme d’homoparentalité avait fait son entrée officielle dans le dictionnaire Robert dès 2001.
Tout cela ne peut que réjouir la psychanalyste que je suis qui se bat depuis deux décennies, solitaire alors dans la communauté psy (largement rejointe depuis !), au côté de la principale association qui réfléchit à ces questions, l’APGL (Association des Parents et futurs parents Gays et Lesbiens), pour que la société prenne en compte cette forme émergeante de parentalité, ce dans l’intérêt des enfants dont les parents n’ont pas attendu le feu vert de la loi pour « faire famille ».
Je vois cependant aujourd’hui un risque d’instrumentalisation de ce sujet, à l’aune de l’intérêt avec lequel les politiques s’en sont emparés (les voix « homo » peuvent peut-être apporter un petit « plus » : les 2 % de voix qui ont manqué à Lionel Jospin au premier tour en 2002 !). Risque qui peut se jouer sur le dos de ces réalités familiales nouvelles et, surtout, sur le devenir psychique des enfants actuels et à venir. La psychanalyste doit au demeurant faire remarquer que le fait d’inclure sous le même vocable des situations familiales totalement différentes les une des autres au seul motif qu’elles ont pour point commun la vie homosexuelle de l’un des parents est, pour la métapsychologie, dépourvu de tout fondement. La théorie psychanalytique distingue en effet le choix d’objet sexuel (hétéro- ou homo-) de la parentalité. Faudrait-il parler d’hétéroparents ?
Un autre risque pourrait venir de la fracture qui se joue, au sein même du milieu des « homoparents », autour du contenu du projet parental, notion entrée dans la loi bioéthique en 1994 en tant qu’expression officielle et déclarative du désir d’enfant. On trouve d’un côté les tenants d’un projet parental fondé uniquement sur la volonté ; ce sont ceux qui entendent construire une filiation purement juridique séparant radicalement reproduction et filiation. Pensée emblématique –et  problématique pour la psychanalyste que je suis – du mouvement LGBT (Lesbiennes Gays Bisexuel-le-s et transexuel) qui affirme haut et fort que la capacité reproductive n’a rien à voir avec la filiation qui doit, pour eux, relever de la seule volonté individuelle et/ou partagée d’individus ou de couples dans le cadre du fameux projet parental. Ce courant se revendique notamment de la récente législation québécoise qui présume la «paternité» de la conjointe d’une femme qui a eu recours à une insémination avec donneur anonyme (sans guillemets dans la loi)… On voit à quel point ce déni des corps procréateurs sert la cause de la plupart des montages de l’homoparentalité. En habile stratège, ce courant pratique d’ailleurs un usage détourné de la loi bioéthique ; le juriste Daniel Borillo écrit par exemple: qu’«elle (la loi) n’a pas hésité à écarter le géniteur anonyme du lien de filiation par AMP pour les couples hétérosexuels. Pourquoi -dit-il- serait il nécessaire d’agir autrement pour les couples de même sexe ?». Alors même que l’on commence à savoir qu’il existe des «risques collatéraux», dus notamment aux secrets et aux mensonge sur l’historicité de leur conception, chez les enfants – adultes maintenant – conçus par IAD dans des couples hétérosexuels.
Soyons réalistes : si les socialistes gagnent les élections et s’ils n’y prennent pas garde dès maintenant, il deviendra possible à tout individu, seul ou en couple, homme, femme, ou transsexuel, d’avoir recours à presque toutes les pratiques procréatives, ce au nom de la seule volonté du candidat parent et d’un projet parental correctement ficelé. La pensée d’un autre courant, celui de l’APGL qui regroupe la majorité des parents gais et lesbiens, est, à mon sens, mieux fondée tant en droit qu’en psychanalyse et surtout en éthique. Elle s’appuie également sur le projet parental, mais sur un projet qui reconnaît la composante juridique et sociale et aussi charnelle, des liens entre parents et enfants. Ainsi la «charte parentale» de l’APGL souhaite-t-elle la mise en place d’un  «livret de l’enfant» qui ne gomme pas l’origine corporelle de ce dernier, par exemple le « don d’hérédité » dont a bénéficié un bébé conçu par insémination artificielle (le nom du donneur de sperme figurerait –avec son consentement- sur ce document).; non en vue d’établir un quelconque lien de filiation entre le donneur et l’enfant, mais pour respecter l’humanité de ces conceptions et ne pas nier le fait que ces enfants sont nés de géniteurs et de génitrices identifiés et non de la seule volonté d’un couple ou d’un individu qui a décidé d’avoir un enfant à un instant « T » de son histoire.
Quelle que soit l’issue législative prise en cas de victoire de la gauche, il est de mon devoir de psychanalyste nantie d’une longue expérience clinique sur ces questions de mettre en garde les politiques, de quelque bord qu’ils soient, contre la pente glissante que pourrait constituer l’usage «extensif» de la notion de projet parental. Ce concept – d’autant plus dangereux, je l’ai dit, qu’il figure déjà dans la loi – induit une représentation qui privilégie la volonté consciente, gommant totalement le rôle du corps et de ses significations symboliques. Or le corps, ce n’est pas un tas de chair. C’est parce que l’individu est un sujet parlant qu’il peut habiter son corps et que ses organes, ses gamètes mêmes, on un sens.
Notion angélique en apparence, le projet parental risque de mener directement à la consécration du droit à l'enfant. J’apprécie, comme psychanalyste, le fait que Ségolène Royal utilise l’expression de «projet familial», notion plus souple que celle de « projet parental » et qui a le grand mérite de réintroduire l’enfant comme sujet. Bien utilisé, cet outil devrait pouvoir endiguer les effets pervers de la vulgate sociologique qu’est le projet parental.