La vraie question n'est pas de savoir si les homosexuels peuvent être des parents «valables», mais si la société a le droit de délivrer des «certificats de parentalité».

Le non-dit du Pacs

Par GENEVIÈVE DELAISI DE PARSEVAL
Geneviève Delaisi de Parseval est psychanalyste, anthropologue de formation. Derniers ouvrages parus: «la Part de la mère», éd. O. Jacob, 1997; «la Part du père», Seuil, 1981, nouvelle édition, 1998. Préface à E. Dubreuil: «Des parents de même sexe», éd. O. Jacob, 1998.

Libération, le jeudi 12 novembre 1998

Source : site du journal Libération http://www.liberation.com

Le mariage n'est plus nécessaire pour recevoir un «certificat de procréation» de la société, et l'image de l'homosexualité a basculé: les couples homoparentaux se sont déjà engouffrés dans ces deux brèches.

Un bref rappel anthropologique se révèle utile pour démêler l'embrouillamini actuel du projet de loi sur le Pacte civil de solidarité (Pacs): tout système de parenté se décline sur deux axes, celui de la filiation (qui définit les relations entre parents et enfants) et celui de l'alliance (qui définit la légitimité du couple). Ainsi, chaque société, dans tous les systèmes de parenté connus, désigne-t-elle avec précision les individus qui peuvent et doivent être considérés comme parents d'autres individus. Or cette désignation est, depuis quelques décennies, devenue assez floue dans la société française.

Le projet de loi ne concerne explicitement que la question de l'alliance (celle qui concerne la définition du couple) pas celle de la filiation. Mais, bizarrement, les plus vifs débats ne tournent quasiment qu'autour de la question de la filiation chez les couples homoparentaux. Comme si la véritable question était de savoir si les parents homosexuels pouvaient être des parents aussi «valables» que les parents hétérosexuels et si la société avait le droit d'accorder un «certificat de parentalité», un «tampon de bon parent potentiel», à des individus qui déclaraient leur homosexualité. Or l'anthropologie montre que c'est l'union légitime, telle qu'elle était définie par telle ou telle société, qui fait la légitimité des enfants et crée ipso facto leur affiliation à un groupe. Tel est le principe fondamental d'intelligibilité de la filiation, quel que soit le sexe ou l'âge des parents, ou même le fait qu'ils soient vivants ou morts au moment de la conception.

L'auteur de ces lignes a depuis des années une pratique clinique qui se situe à l'interface des champs de la parentalité, de la fertilité, de la sexualité et de la filiation, et a donc assisté «en direct» à la rupture des liens qui unissaient sexualité et procréation tout d'abord; puis à celle des liens qui unissaient procréation et filiation. Et ne peut que constater que les différentes techniques d'assistance médicale à la procréation, en multipliant les cogéniteurs ou les coparents et en morcelant l'expérience procréatrice, ont créé des situations inédites, avec des responsabilités parentales floues. Ces techniques, ainsi que leur légitimation par la loi, ont ainsi induit, «permis», la prise en compte de demandes atypiques qui contournent la sexualité. Telle celle, emblématique (que l'on trouve chez des couples hétérosexuels comme chez des couples homosexuels), que l'on pourrait formuler de la manière suivante: «Comment procréer quand on est stérile?» Ne nous étonnons pas alors que soient apparues «tout naturellement» des demandes d'individus qui revendiquent, pour eux et pour leurs enfants nés dans un contexte homosexuel, que la société reconnaisse un rôle parental à ceux (cogéniteurs ou coparents) qui n'ont pas le statut juridique de parent. Deux ouvertures sociologiques et juridiques existent, dans lesquelles les couples homoparentaux se sont, en bonne logique, engouffrés:

1) Le mariage n'est plus une condition nécessaire pour recevoir un «certificat de procréation» de la part de la société: les AMP sont ouvertes aux couples concubins. Les célibataires peuvent adopter des enfants, et leur sexualité ne leur est (en principe) pas demandée; mais, s'ils sont homosexuels ou bisexuels, ils ont intérêt à le cacher pour que leur demande ait une chance d'être acceptée (s'ils sont honnêtes, on leur refuse l'agrément). La loi sur l'adoption favorise ainsi, de fait, la parentalité célibataire, la préférant à celle d'un couple (qu'il s'agisse d'un couple hétérosexuel non marié ou qu'il s'agisse d'un couple homoparental, les deux groupes étant, cette fois, égaux dans la discrimination...).

2) L'image de l'homosexualité a totalement basculé en quelques décennies: de la représentation de l'homosexuel efféminé des années 70 à celle, contemporaine, de «monsieur ou madame Tout-le-Monde-et-parent-pourquoi-pas?» il y a un gouffre. On assiste également à une plus grande visibilité des couples de femmes homosexuelles. Et, surtout, nombre de ces couples nous posent (à nous, société) la question de façon lapidaire: «Pourquoi, de quel droit, nous discriminez-vous, nous couples phénoménologiquement stériles, en tant que parents potentiels? Alors que vous acceptez (et financez) les demandes des couples stériles, à la seule condition qu'ils soient hétérosexuels (cette caractéristique n'étant au demeurant jamais vérifiée...)?»

Nous estimons, comme psychanalyste, que la société devrait en tout cas (quand des individus sont amenés à demander une autorisation ou une aide pour devenir parent, comme dans l'adoption ou l'AMP) prendre en compte un autre clivage que celui, pour le moins sommaire et simpliste, qui fait de l'hétérosexualité une garantie sine qua non de bon développement de l'enfant; et qui présuppose, à l'inverse, que la sexualité homosexuelle des parents constituerait une menace de parentalité perverse. En forme de conclusion provisoire, il nous semble qu'il vaut mieux qu'un enfant ait deux parents, fussent-ils de même sexe, plutôt qu'un seul parent (nous émettons donc des réserves sur la loi qui permet à un parent célibataire d'adopter; le fait qu'il soit hétérosexuel ne constituant aucune garantie particulière pour le bien-être du futur enfant). Nous avons également de fortes réserves à propos de la banalisation (induite par la loi dite bioéthique de juillet 1994) des pratiques de procréations avec des donneurs anonymes, personnes considérées par la loi comme des simples fournisseurs de «produits», non comme des sujets humains. Et cela que les parents receveurs soient hétérosexuels ou homosexuels. Il est pourtant indispensable d'opérer une distinction entre don de sperme et don d'ovocyte: le don d'ovocyte ne touchant pas à la définition légale et psychologique de la maternité (est mère la femme qui porte, qui accouche et qui reconnaît l'enfant). Il nous semble enfin qu'il faut réfléchir de façon fine et non didactique à la question de la coparentalité, à la condition que les projets parentaux de couples - hétéro et/ou homosexuels - soient réalisés dans la transparence et le respect de tous les protagonistes. Il convient aussi de travailler à la reconnaissance d'un statut parental pour le conjoint d'un parent homosexuel (parent qui a eu des enfants d'une union hétérosexuelle antérieure ou encore par adoption).

On peut estimer à première vue que ces questions sont prématurées, la société n'étant pas prête... Ce n'est, pourtant, qu'un effet d'optique: ces mutations sont en réalité présentes sous nos yeux, initiées depuis longtemps. La confusion des débats autour du Pacs en est une preuve de plus. C'est toute l'architecture du droit de la famille qu'il convient de revoir si l'on veut fournir des repères fiables à la question de la parentalité dans le monde actuel.